Henri Bourillon, dit Pierre Hamp.

En 1906, alors que le personnel des compagnies ferroviaires est quasiment sous régime militaire, une grève très dure va voir le jour.
Un chef de gare d’Hirson, Henri Bourillon, va la vivre, et Pierre Hamp (lui même) la racontera dans un de ses ouvrages : «Le rail» ou : «La peine des hommes».
Né en 1876 à nice, Henri Bourillon débute dans la vie comme pâtissier et cuisiner. Après son apprentissage et des stages en Angleterre et en espagne, il se présente en 1900 à l’Université populaire de Belleville, où il est formé entre autre par henri Baulig, paul Desjardins et Jean Sclumberger. A ces personnalités s’ajoutent les contacts avec les cercles politico-littéraires des «Cahiers de la quinzaine» de Charles Peguy, et de «l’union pour la vérité».

Après une période de deux ans à l’université populaire, il entame une carrière de fonctionnaire auprès de la compagnie des Chemins de Fer du Nord, qu’il termine en 1908 comme chef de gare. C’est à Hirson. Mais en plus, il a obtenu, pendant cette période, un diplôme d’Ingénieur civil, et d’inspecteur du travail indépendant.
A cette époque, on ne connaît pas beaucoup Henri Bourillon. Les pressions ont été telles, après les grèves, que le Chef de gare démissionne. On ne licencie pas, dans la bourgeoise Compagnie des Chemins de fer du Nord du Conte de Paris, un chef de gare... Ce serait la preuve d’une énorme erreur de recrutement... Mais on commence à connaître un jouranliste, romancier, qui se nomme Pierre HAMP.
Ses fonctions d’inspecteur du travail  lui permettent de cotoyer dans quantité d’entreprises, des gens très divers, à tous les niveaux de la hiérarchie, et de bien sentir et comprendre les rouages du monde du travail.
Son oeuvre reflète toute son expérience, qui relève du vécu. On l’appelle souvent «Le chantre de la peine des hommes». Il a été abondemment traduit, surtout dans les pays de l’Est, où il était, jusqu’en 1927, l’auteur le plus traduit.
Ses livres seront interdits de vente dans les bibliothèques des gares.
La date exacte de cette interdiction n’est pas connue (lae rail est paru pour la première fois en 1912). En fait,  la direction de la Compagnie des Chemins de Fer du Nord, a dû faire des pressions sur la l’Agence Hachette, pour qu’elle retire les livres de ses kiosques.  Cette mesure était à pressentir, car Pierre Hamp révèle, dans cet ouvrage, ou affirme une multitude de vices et d’insuffisances d’organisation peu flatteuses pour les patrons du rail. Lui même ex-chefde gare, socialiste engagé, querelleur passionné, il n’a jamais hésité à mettre «les pieds dans le plat», en donnant des noms connus à ses héros. L ui même dit : «quand j’ai publié «mes métiers», les patrons pâtissiers de Paris [... ] m’accablèrent d’injures dans leurs réunions et se concertèrent pour m’intenter un procès.
Portrait :  (extrait d’un article du journal «Le peuple» (à Bruxelles), par Frédéric Denis, du 26 novembre 1911 :
«Par le vêtement et par l’attitude, Pierre Hamp est resté le petit focntionnaire, qui n’a point souci d’en imposer à la badauderie. Mais la tête se devine solide, formée pour l’effort tenace, et l’oeil est vif, qui interroge plus qu’il ne répond....
C’est donc une question ouvrière que Pierre Hamp évoquera, de nouveau, dans ce livre Nous parlons du mouvement ouvrier en France. L’auteur de «La peine des hommes» est resté membre de son syndicat, affilié à la vieille C.G.T.. Au point de vue politique, il ne s’est pas séparé du parti Socialiste. Il refuse d’adhérer au communisme, tel que le prêchent les Cachin, les Vaillant-Couturier, qui ont démembré le parti de Jaures. et ce nom jeté dans l’entretien suscite un bel éloge du tribun disparu, de celui dont Pierre Hamp a écrit, dans les «européens» :
... C’est un grand et terrible honneur que de mériter l’attentat. Quand un penseur est si redoutable que ceux qui lui donnent tort ne peuvent lui répondre que par l’assassinat, le haussent dans leur estime et leur rage au niveau de la mort, ils lui confèrent une majesté immense. Tout le monde n’est pas digne d’être tué.
Jaurès, me dit Pierre Hamp, maintenait l’unité de la classe ouvrière en France. Il dominait et il entraînait. Il était à ce titre un aristocrate, dans le sens véritable du mot. De tels hommes nous manquent aujourd’hui.
Une ombre a voilé les yeux vifs. Et comme je reviens à «La peine des hommes» :
_Vous savez que je suis complet, me dit, en terminant, mon interlocuteur/ «Le rail» était déjà interdit dans les gares. Voici que la congrégation de l’Index a jeté l’anathème sur le «Cantique des Cantiques».
En sorte que Pierre Hamp a contre lui, maintenant, deux forces d’oppression : la religion et l’argent. Il ne s’en porte pas plus mal, et ses livres non plus. Il n’aura jamais contre lui le travail, la force qui seule est appelée à demeurer.»
Après avoir lu «Le Rail», Tristan Bernard dira :
«Et ce pauvre Zola qui se croyait réaliste...»
Peut-on parler à son sujet d’oeuvre romanesque, dans la mesure où il s’agit d’une transcription de situations vécues ?  Aujourd’hui, il faudrait plutôt parler, au sujet de Pierre Hamp, de roman autobiographique.
Pierre Hamp s’est retiré de la vie littéraire après la libération. Il a exercé une réelle influence entre les deux guerres, et a su intéresser la jeunesse aux problèmes de la classe ouvrière engagée dans la lutte pour une vie meilleure.
Henri Bourillon décède en 1962.
Les mots-clé de son oeuvre, et de recherches à son sujet, seront anarchisme, politique, religion, socialisme.
Extraits :
«Les meubles du ménage pierre-qui-roule, wagonnés cinq fois en douze ans, portaient des marques de chocs, mais luisantes; il semblait qu'aux blessures Mme Barabe cirait plus affectueusement, comme on câline un enfant malade.
Le chef montrait au mur des cicatrices de plâtre dans le papier déchiré:
« J'aurais voulu qu'on tapisse à neuf, quand je suis entré. La Compagnie a refusé. »
Le tambourinage du verre de lampe répondait au 328 matériel lourd. Mme Barabe chercha sa petite fille réveillée par le train et qui ne voulut point faire risette.
M. Hénocq enroué de fatigue, courbait sur la chaise son corps privé de bon sommeil:
« On est plus durement mené que jamais. »
Le métier emprisonnait leur pensée. M. Barabe en parlait encore:
« Qu'on travaille dur, ce n'est pas une surprise.
Aujourd'hui on sait bien qu'au chemin de fer, il n'y a plus de bien-être à espérer. Mais si au moins ils nous en tenaient compte. J'ai eu un blâme pour un vingt tonnes de chicorée en vrac stationné un jour de plus que son délai. Le destinataire ne prenait pas livraison. Dans les bureaux quand ils ont écrit:
« Vous auriez dû décharger », ils ont fini.
« Qu'ils viennent pelleter vingt tonnes de cossettes.
Ils verront si ça pèse le poids d'un porte-plume. »
M. Hénocq quitta l'éternelle hostilité entre les écriveurs aux conceptions promptes et les hommes de main:
« Et la grève? »
M. Barabe détendit sa figure sévère:
« En voilà une invention. Ça ne se verra jamais.»
Mme Barabe les extirpait de l'habitude:
« Ne parlez donc plus métier. Vous avez un chemin de fer dans la tête. »
Son mari partit au jardin tirer des légumes, elle mit aux bras de M. Hénocq la petite fille repue et changée:
« Saurez-vous la tenir? Et ça ne vous fait pas envie? Qu'est-ce que vous attendez pour vous marier?»
L 'homme de trente-deux ans consolé au genièvre, rit de sa peine:
« A voir une femme à laisser la semaine entière seule la nuit, c'est pas prudent. »
Mme Barabe coupa un morceau bien blanc de pomme de terre crue, dont le bébé fit sucette avec goût:
« Si on pensait à tout ça, on n'épouserait  jamais personne du chemin de fer...
Au triage, dans l'alternance de jour, mon mari venait une heure à midi et mâchait encore en partant. Toute sa semaine de nuit les enfants ne le voyaient pas. Mais les femmes de conducteurs et de mécaniciens sont plus à plaindre que nous; quand leurs hommes ne rentrent que tous les dix jours. »
Elle arrosait au four la longe de veau ceinturée d'oignons brunis. M. Hénocq lui embellit l'avenir:
« Après ici ce sera la grande gare. »
Elle refusait d'être ambitieuse:
« Le gaz au plafond et l'eau sur l'évier. Plus à pomper. Ça me ferait envie. Mais j'en ai assez de déménager. Qu'on nous augmente sur place. Avec deux mille sept on n'a rien de trop. Deux cents francs et un homme de plus en gare. Je demande rien autre. Barabe est moins fatigué qu'au triage; il dort ses nuits et, dans la journée, il peut s'asseoir. Mais jamais ça n'arrête dans sa tête. A midi, il faut lever le rideau de la fenêtre pour lui laisser voir passer les directs. La nuit, il marmonne quand le lit tremble:
« C'est le 389 j c'est le 5060. »
Elle accueillit ses deux garçons intimidés sur la porte:
« C'est déjà tout, l'école! On vous y garde pas longtemps! »
La petite leur jetait sa joie à aussi grands cris qu'elle pouvait.
A table, M. Barabe, l'homme à la journée jamais finie, se mit face au rideau soulevé. Il inventait, aux heures régulières, le bruit lointain des rapides. L'évidence de leur retard ne lui venait que par la surprise que le roulement ne grandît pas.
Mme Barabe se résignait à l'écouter redire la gloire de sa peine:
« Le 4922, 1 h. 38. Il faut le garer souvent pour le129. J'ai pas toujours la place. »
Au sifflet. de départ, il regarda sa montre:
« 1 h. 50. La limite d'expédition est à 55. Ça ira. »
Les deux hommes alourdis par le bien-être du repas pesaient sur les chaises.
Le 129 passa, chassant les marchandises. Les cuillères se déplaçaient au bord des soucoupes du café. M. Henocq sentait le sommeil appuyer sur son épaule.
Après le souci du travail, ils n’avaient plus rien à se dire, car leur âme n’était faite que des choses de leur métier.»

 

JMG